Interview avec Manu et Samir du groupe Arkan

Interview avec Manu et Samir du groupe Arkan

Le groupe Arkan était en journée promotion au Hard Rock Café à Paris avec Roger de Replica promotion et Rock Metal Mag a pu s’entretenir avec Manu (chant) et Samir (basse)

Entretien avec Manu et Samir du groupe Arkan le 8 octobre 2020 au Hard Rock Café à Paris.

De gauche à droite : Foued, Manu, Samir, Florent et Mus

Nouvel album « Lila h » le vendredi 16 octobre 2020.

Tracklist

1. Dusk To Dawn
2. Shameless Lies
3. Black Decade
4. Broken Existencies
5. Crawl
6. Surrounded
7. Burning Marks
8. My Son
9. Remembrance
10. Seeds Of War
11. Relapse
12. Resilience

Arkan est un groupe de metal oriental fondé en 2005
Les membres sont Foued Moukid, Manuel Munoz (anciennement The Old Dead Tree), Samir Remila Mustafa Kamal El et
Florent Jannier.
Le groupe sort son 5ème album Lila h qui succède à Kelem paru en janvier 2017.
La musique d’Arkan est un voyage extraordinaire entre Nord et Sud, entre brutalité et mélancolie, entre metal
et Mélodie orientale.

De gauche à droite :  Samir, Foued , Manu, Florent, Mus

Membres du groupe
Florent : Vox Growl & Guitars
Manu : Clean Vox & Guitars
Foued : Drums
Mus : Guitars & Oud
Samir : Bass

Facebook : https://www.facebook.com/ArkanBandOfficial/

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Rock Metal Mag :  Lila h va enfin voir le jour le 16 octobre alors qu’il aurait du sortir en mai dernier. la décision de repousser la date de sortie a été difficile à prendre ?

Manu : C’est toujours un peu frustrant. Pour ma part en tout cas. Mais cela aurait été plus dur si on avait du repousser l’enregistrement. Cet album représente beaucoup de travail et nous en sommes très fiers. Alors le fait de le repousser était déjà dur mais en plus avec le confinement et donc pas de concerts possibles, c’était un petit peu frustrant.

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Rock Metal Mag :  Lila h c’est la signification d’Allah (Dieu) ou juste un prénom ? Pourquoi avoir choisi ce nom pour l’album ?

Manu : Alors je ne parle pas arabe mais mes collègues m’ont expliqué tout le concept, l’idée de Lila avec le h, signifie au nom de dieu. Et sans le h, c’est un prénom féminin qui veut dire nuit. Donc l’idée était de décrire cette nuit qui est tombée sur l’Algérie pendant une décennie. Dès le départ le nom à plusieurs sens et le mélange des deux rappelle la nuit avec tout le coté sombre qui a pu tomber sur cette société là et mettre les gens dans le noir au nom de dieu.

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Rock Metal Mag : Pour la pochette vous avez repris le même motif que celui de la pochette de Hilal paru en 2008, sauf qu’elle est noire cette fois-ci . Pourquoi et que signifient les symboles?

Manu : Je suis bien embêté car je ne sais pas ce que ça signifie. Mais je sais que la volonté était de reprendre la pochette avec les mêmes lettres. Hilal et Lila h sont vraiment 2 albums miroirs. C’est une volonté de Foued batteur et fondateur du groupe, qui voulait faire un cycle complet. Nous sommes arrivés à un point où on répond à nos premiers albums, même si ils ont des différences. Et c’est donc ce coté miroir que l’on voulait mettre en avant.

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Rock Metal Mag : Quand avez vous commencé la composition de l’album . Est ce que votre processus est resté le même que celui de Kelem ?

Manu : On a commencé début 2017. En fait, le processus de composition de chaque album est différent. Pour celui-ci c’est Mus, le guitariste d’Arkan, qui a tout composé. Alors parfois seul, des fois avec Florent, avec Sam ou avec moi et d’autres fois tous ensembles à coté de lui pour essayer de lui donner des pistes. Mais 99,9% des riffs et de la musique de l’album viennent de Mus. C’est une espèce de geyser à riffs et c’est incroyable la quantité de musique que Mus arrive à faire.

Et pour Florent et moi-même, qui écrivons les paroles et composons le chant derrière, c’est assez étrange car c’est un contexte qui fluctue systématiquement. On peut écouter un morceau de Mus le samedi, et puis le mardi quand on va le revoir il nous dit que c’était de la merde. Il a donc jeté le morceau alors que nous on trouvait que c’était super et il faut  retravailler là dessus.

Mais Mus compose énormément, il est très versatile et extrêmement exigent. Il a du composer l’équivalent de 4 albums avant avant d’arriver à celui-ci. Ce qui est rigolo, c’est que cela bouge jusqu’au bout. Si nous étions rentrés en studio un mois plus tard, peut être que deux titres de l’album ne seraient pas dessus. Ils auraient été remplacés par deux autres ou ils auraient été complètement différents.

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Rock Metal Mag : Dans Kelem vous aviez déjà parlé des problèmes en Algérie dans les années 2010. Cette fois-ci votre thématique concerne, la décennie noire, celle de la guerre civile entre islamistes et forces armées pendant les années 1990 en Algérie . C’est une période qui touche personnellement Samir et Mus mais pourquoi avoir choisi d’en parler 15 ans après la formation du groupe (2005)? .

Manu : Dans Kelem on avait surtout parlé du printemps arabe et de ses conséquences. Mais en Algérie il y a eu un petit peu moins de problèmes qu’ailleurs et l’état est resté assez fort sur ses positions. Dans certains cas cela a beaucoup tangué et des gouvernements ont été renversés. On a parlé du printemps arabe jusqu’en Syrie avec tous les migrants qui essayaient de venir en Europe. On a voulu faire en 2016, une espèce de photographie de la situation.

Pour Lila h c’est beaucoup plus rétrospectif, car c’est, comme tu le dis, très longtemps après. Mais c’est aussi introspectif dans le sens où l’on a écrit cet album avec comme impulsion de départ, toutes les histoires que pouvaient raconter Samir et Mus. Eux, ils ont grandi à Alger dans les années 90, et donc dans une période de guerre, d’attentats, de meurtres et d’exactions absolument incroyables.

En tant qu’européens, ont a énormément de mal à l’imaginer. Ce sont des choses dont ils parlent assez ouvertement, et même sur un ton parfois un peu léger, comme des anecdotes.  Par exemple : « Une fois je suis tombé en panne de voiture et en passant à coté d’un immeuble, il a explosé. Il y avait des corps à coté de moi et je suis allé aider des gens ». Là, on se rend vraiment compte que l’on a pas du tout eu la même jeunesse et à quel point on est privilégié.

Donc, une fois l’album Kelem achevé, on s’est demandé de quoi on allait parler puisque l’on voulait s’attacher à des contextes en racontant de vraies histoires. Et c’est Florent qui a lancé l’idée de parler de l’Algérie que Mus et Samir ont vécu. A travers leurs yeux ou pas, mais en se basant en partie sur leurs histoires. Et avec leurs anecdotes et leurs petits récits ont a fait la grande Histoire, avec un rand H.

Il y a eu un grand travail d’échange. Avec Florent, on s’est retrouvé à parler des heures et des heures avec Sam et Mus. On avait un gros carnet sur lequel on notait tout. On a voulu savoir comment cela avait commencé et pourquoi. Quel était le contexte politique dans lequel est né une situation aussi dramatique. Comment cela s’est arrêté et bien sur qu’est ce qu’ils ont vécu pendant cette décennie.

Donc voilà, on a eu une double vision. Celle un peu macro politique et l’autre micro puisque ce sont des histoires qui sont arrivées dans leurs familles, chez leurs voisins, dans leur école. Et depuis leur plus jeune âge jusqu’à leur adolescence et la relation qu’il pouvait y avoir entre eux et leurs parents. Par exemple, les parents de Sam qui ne voulaient pas qu’il sorte ou qu’il reste au maximum à la maison. Mais comme tout ado, il voulait sortir et voir ses copains. Et le fait qu’il y ait des attentats tous les jours, c’était pour lui, juste du quotidien.

En fait c’est très relatif. Le danger était présent mais finalement, il le tenait à distance psychologiquement. C’est le titre Black Decade où par exemple, Florent et moi, on a pris le parti de chacun interpréter un point de vue. Donc Florent interprète le point de vue de Sam qui ne veut que vivre et donc ne pas s’arrêter parce que dehors c’est l’horreur. Moi, j’ai pris le point de vue des parents. C’est un morceau qui est très complexe. Nos voix viennent s’échanger par rapport à ça puisque l’on défend deux points de vue complètement différents.

On a surtout essayé de ne pas trahir les histoires. On a avancé sur une corde raide avec chacun sa muse. Parfois, par rapport à une anecdote racontée j’ai eu envie d’imaginer un autre personnage qui voyait de l’extérieur. Donc il fallait que je sache si je trahissais son vécu en le racontant de cette manière. Et c’est comme ça que l’on a avancé pour créer cette histoire.

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Rock Metal Mag : Lila h ce sont des faits marquants tout au long de ses 12 titres, On peut parler d’album concept ?

Manu : oui complètement. Ce sont vraiment des petites histoires dans la grande.

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Rock Metal Mag : Samir et Mus avaient un regard sur vos écrits je présume ?

Manu : Oui. Déjà au départ on compose le chant et on chante en yaourt. On pratique très bien le  yaourt d’ailleurs (rires), Et puis on valide d’abord la partie musicale. Par exemple, la partie imaginée en hurlée peut sortir finalement en chantée ou l’inverse. Ou à un autre moment si on fait un mélange, on leur demande ce qu’ils en pensent.. Donc en premier on se met tous d’accord la dessus. Et une fois que l’on valide le fond, on va remplir notre yaourt avec de vraies paroles. Il y a beaucoup d’échanges entre nous tous.

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Rock Metal Mag : Cela n’a pas été trop difficile de retranscrire émotionnellement, des faits que vous n’avez pas vécu ?

Manu : Finalement cela n’ a peut être pas été plus mal, pare que l’on retranscrit des faits que l’on a pas vécu pour les raconter à des personnes qui ne les ont pas vécu non plus. Alors évidemment Arkan est écouté en Algérie donc il y a des gens à qui cela va parler d’une manière totalement différente. Mais c’est vrai que la majorité des Metalheads sont en Europe, aux Etats Unis ou en Amérique du Sud.

Donc leurs considérations sont bien loin de ce qui a pu se passer en Algérie dans les années 1990 . Ils ont donc le même point de vue que Florent et moi qui avons vu ça de loin. Quoi que, j’habitais à Paris et on a eu des attentats ces années là. D’ailleurs beaucoup de gens ne comprenaient pas pourquoi. J’étais lycéen à l’époque, j’avais 15/16 ans et c’est le métro que je prenais qui sautait mais c’est totalement sans commune mesure avec ce que j’ai raconté dans l’album. Finalement je n’étais peut être pas si mal placé que ça pour permettre à d’autre de faire la même découverte.

Mais c’est vrai qu’à la même époque et malgré les attentats mon idée était d’aller voir des concerts, vu qu’on avait la chance d’en avoir beaucoup à Paris. J’étais déjà passionné de Metal et mon plaisir était de m’acheter des disques et c’est vrai que je ne comprenais pas pourquoi ils faisaient sauter des RER ici. (ndlr: https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_de_1995_en_France)

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Rock Metal Mag :  Vous avez travaillé avec Fredrik Nordström au studio Fredman  pour l’enregistrement, ce n’était pas la première collaboration avec lui?

Manu : Alors moi je n’ai pas eu cette chance puisque je suis entré dans le groupe en 2016. Mais effectivement les 3 premiers albums du groupe ont été enregistrés chez lui. Moi j’étais ravis d’aller travailler avec lui car c’est tout de même une sommité en la matière. On lui doit les meilleurs albums d’Opeth, In Flames, Dimmu Borgir. J’étais content mais un petit peu anxieux d’aller me frotter à lui. C’est quelqu’un de très exigent. C’était difficile mais cela s’est bien passé.

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Rock Metal Mag : Et depuis ton intégration dans le groupe tout se passe comme tu le souhaitais?

Manu : C’est toujours très difficile d’intégrer un groupe déjà formé. Il y a déjà des habitudes et des dynamiques en place. Après les gars sont adorables. Au niveau humain il n’y a aucun problème et au niveau musical, même si je ne viens pas du tout du Metal Extrême qui est une des influences principale d’Arkan, il y a énormément de choses qui me plaisent . C’est vraiment très intéressant.

Avant d’intégrer Arkan, j’évoluais dans The Old Dead Tree, en tant que leader et c’est ma manière de travailler qui s’imposait aux autres. Aujourd’hui je dois m’adapter à une manière de travailler totalement nouvelle avec des visions complètement différentes. Et c’est vraiment hyper intéressant.

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Rock Metal Mag :  Le travail des deux chants est très bien structuré et cela doit vous demander énormément de temps pour arriver à fondre l’un dans l’autre, chant clair bouleversant et Growl très puissant. (par exemple sur Shameless lies). Vous travaillez vraiment à deux, main dans la main?

Manu : Oui pour le chant et pour tout d’ailleurs. On travaille sur le chant l’un de l’autre. On voit quand il faut appuyer  sur une voyelle plutôt qu’une autre. Cela se passe vraiment dans le détail et donc on fait beaucoup de sessions à deux. A la base on part toujours de la musique. Il y a toujours Mus qui nous amène de la matière sur laquelle on va faire pousser quelque chose.

Et comme on travaille de manière très étroite, Florent et moi, on va systématiquement arriver avec des idées. On va aussi avoir plein d’essais que l’on va proposer aux autres et qu’ils vont pouvoir rebouger ou valider. Finalement il y a une cohérence et un but. L’idée est de raconter une histoire avec des choses horribles mais toujours avec de l’espoir. Il faut que les gens comprennent que la décennie s’est arrêtée. Le pays est passé par une phase de chaos mais il a finalement réussi à se stabiliser. Les gens ont eu une vie compliquée mais à peu près normale, même si leur existence était en danger au quotidien.

Donc il faut toujours que l’on arrive à garder l’aspect humain dans la guerre civile. Toute l’idée est là et c’est d’ailleurs pour ça que l’on raconte des anecdotes, plutôt que de le raconter à la manière d’un documentaire. Et on a choisi de terminer avec « Resilience » un titre très positif où l’on a pris le point de vue d’adultes. Ils voient leur jeunesse avec 25 ans d’écart et en posant leur regard dessus ils se disent qu’au final ils s’en sont pas si mal sortis.

Donc à partir de cet objectif là ils faut que l’on trouve comment y arriver. C’est donc beaucoup, beaucoup de travail. Mais il y a aussi Fredrik Nordström, qui est là pour tirer le meilleur de chacun de nous. Il a tout de suite compris ce que l’on voulait avec l’intensité mais aussi l’émotion que l’on désirait donner à cette histoire.

Rock Metal Mag : Et c’est très réussi car à travers la puissance des paroles et de la musique, on arrive à s’imprégner de l’histoire et à s’imaginer l’ampleur du contexte historique.

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Rock Metal Mag : 30 ans après ces terribles évènements, quel regard portez vous aujourd’hui sur l’Algérie ?

Manu : Je vais parler pour Sam et de ce que je sais de lui. Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération, arrivée après celle de Sam et Mus qui ont 40 ans maintenant. Donc elle n’a pas connu toutes ces terribles années. Et c’est celle qui remet en question aujourd’hui la vie telle quelle est et où le péril islamiste semble assez éloigné, par rapport à ce qu’il a pu être dans les années 90. Mais il y a un refus d’accepter cette stabilité que propose le gouvernement et c’est au prix d’une privation de liberté, d’un état qui fonctionne moins bien et qui est défaillant sur beaucoup de points.

Et finalement le fait que la jeunesse aujourd’hui redescende dans la rue c’est un signe de vie. Avant personne n’aurait osé le faire pour remettre en question un gouvernement ce qui est un gage de stabilité envers les islamistes. Aujourd’hui l’islamisation est beaucoup moins présente en Algérie que dans d’autres pays comme l’Egypte, ou la Turquie, où ça évolue encore très différemment. En Algérie je n’ai pas l’impression que ce soit un des enjeux actuels des manifestations.

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Rock Metal Mag : Musicalement par rapport à Kelem je trouve que la rage du Death Metal mélodique est beaucoup en avant sur Lila h. Il y a bien sur toujours la touche orientale et un chant clair très poignant, mais un peu moins en avant par rapport au Growl? 

Manu : Je ne pense pas que le chant clair soit moins en avant. La différence par rapport à Kelem, c’est que l’alternance du chant est moins rapide.

Alors effectivement il peut y avoir des grandes plages de 3 ou 4 mn où il n’y aura que le Growl de Florent. On a moins emmené de respiration. C’est à dire que lorsque l’on met la tête des gens dans la boue, on la laisse jusqu’à ce qu’ils suffoquent un peu avant de la ressortir. Mais à l’inverse dans « Crawl », il n’y a pas du tout de chant hurlé.

Donc je pense que cette impression que tu as vient des respirations. Mais chaque phase est un petit peu plus longue.

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Rock Metal Mag : Crawl est le premier morceau proposé en écoute pour annoncer la sortie du nouvel album. ensuite vous avez dévoilé la lyric vidéo de Surrounded , puis Broken Existencies et récemment la vidéo de My Son. Pourquoi avoir choisi ces chansons et ne pas avoir respecté un ordre chronologique?

Manu : L’idée était de montrer le panel. C’est un album concept parce qu’il y a un thème mais il n’y a pas de chronologie dans les anecdotes. Dans les histoires racontées, tu peux en avoir une sur l’adolescence de Mus et une autre sur l’enfance de Samir. Au final ce qui leur est arrivé est arrivé à plein de gens, dans ce marasme catastrophique. C’est compliqué de sortir une chronologie.

L’ordre des titres a été assemblé pour une raison musicale, plus que pour une chronologie historique de narration. Et sur le choix de la présentation c’est pour des raisons de « communication ». « Crawl », par exemple est un titre hyper accrocheur dès le départ, mais qui n’est qu’en chant clair. Et « Surrounded » n’est qu’en chant hurlé. Ce sont vraiment des cartes de visite où l’on montre toute l’étendue que l’on a développé sur Lila h. Les gens savent au moins à quoi s’attendre.

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Rock Metal Mag : Ce sont toutes des chansons très fortes mais est ce qu’il y en a une que tu affectionnes plus particulièrement ? Moi par exemple j’ai un petit faible pour Broken Existencies. 

Manu : C’est difficile à dire. Ce sont plus des passages qui me marquent plus que d’autres. On parlait de « Black Decade » tout à l’heure et moi, je suis papa de deux garçons qui ont 13 et 16 ans. Donc l’adolescence est une chose qui me parle. Et tous le break du morceau, c’est la réponse des parents qui parlent calmement à leur fils qui leur dit: « Vous m’infantilisez, vous ne voulez pas que je sorte, que je vive, vous me regardez comme si j’étais un petit garçon. ». Et les parents qui répondent : « on t’entend mais est ce que tu veux bien essayer de nous écouter, parce que dehors c’est ta vie qui craint. »

Donc moi évidemment je n’ose imaginer la vie de mes fils dans une telle décennie catastrophique. Et je n’ose pas imaginer ce par quoi sont passés les parents de Sam et Mus. Cela me touche énormément.

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 Rock Metal Mag : C’est vrai que Black Decade est une chanson très représentatrice de cette époque sanglante, est ce que vous allez la clipper?

Manu : C’est compliqué parce que déjà c’est un morceau complexe. Souvent lorsque l’on fait un clip c’est sur un morceau où les gens peuvent accrocher facilement et directement. Un morceau qui ne nécessite pas plusieurs écoutes; C’est aussi une chanson qui prend toute sa puissance de par la narration qui l’entoure.

Donc si c’est le clipper pour faire un faux live c’est peut être moins intéressant que de le tourner avec des acteurs. Mais là, ça demande encore une autre logistique qui est compliquée de mettre en place surtout aujourd’hui. Et aussi dans les perspectives de développement de l’album qui sont aussi très limitées.

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Rock Metal Mag : Les 4 derniers morceaux sont un peu plus apaisés avec une instrumentation classique. Mais je trouve que le coté oriental d’Arkan est plus discret sur l’album. 

Manu : Le coté oriental était déjà plus discret sur Kelem. En fait ça dépend de Mus et de ce que lui a dans le coeur au moment où  il écrit. Parce que quelque soit les instruments, le Oud, la mandoline, c’est lui qui en joue. Et puis il change tout le temps.

Par exemple, pour les 4 derniers morceaux, qui forment l’unité, il nous les a amené 15 jours avant que l’on rentre en studio. Donc, là c’était branlebas de combat parce qu’il fallait écrire les lignes de chant à toute vitesse et donner une cohérence à l’ensemble. Donc c’était la sortie de l’album et il fallait que ce soit la conclusion.. Et comme Mus change tout le temps, la guitare acoustique, la mandoline, tous les instruments acoustiques sont enregistrés juste à la fin.

Moi je suis parti juste avant le début du mixe et normalement quand on arrive au mixe on enregistre plus rien. Et lorsque j’ai écouté l’album quand ils sont rentrés de Suède, une semaine après, il y avait des guitares qui avaient été rajoutées, un oud là, une guitare acoustique là.. Mus est un volcan de créativité. En début de processus il parlait de mettre beaucoup d’ influences orientales plus fortes. Donc c’était le cas sur les premiers riffs qui sont sortis. Et petit à petit cela a évolué et changé.

Pour moi, c’est important qu’il fasse ce qui lui vient du coeur. Il ne faut pas que l’on se dise, « il faut mettre le coté oriental en avant » à cause du coté commercial qui joue beaucoup dans l’identité du groupe. je pense que c’est prendre le problème à l’envers de faire ça. Il vaut mieux prendre ce qui sort et voir où cela nous emmène.

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Rock Metal Mag : Donc la fin de l’album évoque un sentiment d’apaisement même si le poids de l’histoire est encore très fort en Algérie?

Manu : En fait c’est un point de vue d’aujourd’hui. Et il y a une des phrases qui revient régulièrement c’est : « We have been through our times but now it is over » (Nous avons traversé notre époque mais maintenant c’est fini). Et du coup c’est cette idée là. Samir est papa, il habite en France et ce n’est peut être pas du tout ce qu’il aurait pu imaginer ou projeter à cette époque là. Et aujourd’hui, il est de l’autre coté de la méditerranée.

Samir vient nous rejoindre à ce moment là

Je pense que pour Mus et Samir cela pas été très simple, même si ils prennent toujours un air détaché quand ils parlent de l’Algérie à cette époque. Et du fait que l’on ait remué tout ça il fallait que cela se termine sur une note d’espoir. Je voulais que l’on prenne le point de vue d’un adulte qui repense à sa jeunesse là-bas et qui dit : ‘Cela a été dur mais on s’en est sorti »

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Rock Metal Mag : Samir, est ce que tu retournes quand même en Algérie et est ce que ce passé ressurgit une fois sur place?

Samir : En ce moment il n’y a pas de vols alors c’est réglé (Rires). Oui j’y retourne régulièrement 1 à 2 fois par an, car j’ai toute ma famille là-bas. Mais sincèrement non, je n’ y repense pas. J’arrive à occulté tout ça. Je l’ai mis dans un coin de mon  cerveau et je suis passé à autre chose. Et je pense que c’est la même chose pour toute les personnes qui sont là-bas. La seule crainte des adultes algériens, mes parents par exemple, c’est de retomber dans les travers du passé. Pare que souvent l’histoire se répète malheureusement.

Manu : Oui et j’en reviens à ce que l’on disait tout à l’heure à propos de la jeunesse qui descend dans la rue car elle n’a pas connu cette époque. Donc elle a beaucoup moins peur que le gouvernement puisse tomber et qu’il ne soit plus là pour assurer la stabilité.

Samir : Oui c’est clair. Après, les jeunes sortent. Ils ont besoin de s’ouvrir et dans une démocratie c’est normal. Je me rappelle que lorsque l’on était gamin on sortait et on manifestait à cette époque. On avait besoin de manifester contre tout le terrorisme que l’on avait vécu. Et j’espère en tout cas que l’Algérie s’en sortira et ne retombera pas dans les mêmes travers.

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Rock Metal Mag : Est ce que tu penses que mondialement aujourd’hui une espèce d’islamisation radicale est en marche?

Samir : Alors cela dépend de ce que l’on appelle islamisation.

Manu : Tu regardes Trump aux Etats Unis il n’ y a pas besoin d’Islam pour voir le Moyen Age revenir aux commandes.

Samir : Exactement, mais là on met le doigt sur quelque chose de spécial.

Manu : Tu as la même chose au Brésil, ou au Royaume Uni actuellement. La question sur l’islam politique et la radicalisation islamique est tout simplement une des tendances qui va vers un retour sur des basiques et des fondamentaux sécuritaires sans réfléchir. Les gens ont peur et perdent le coté humain. C’est vrai qu’en France il y a vraiment eu des choix politiques qui ont été fait par beaucoup de partis pour montrer du doigt,  ce coté là .

Actuellement il y a des gens qui se radicalisent, comme les cathos radicaux qui avaient disparus depuis une dizaine d’années et qui ressurgissent. C’est la même chose, on est sur la même bêtise et ça fout la trouille. Mais c’est vrai que si on prend vraiment de la hauteur, c’est un peu partout que ça commence à se radicaliser.

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Rock Metal Mag : Est ce que le problème de base ne vient pas des religions quelles qu’elles soient?

Samir : Là je ne suis pas d’accord avec toi. Ce n’est pas la religion le problème, c’est l’interprétation que l’on en fait. C’est ça la différence.

Manu : Moi je suis complètement athée. La religion je vois ça surtout comme un sujet de discorde. Mais il y a plein de gens qui vivent leur religion , chacun dans leur coin. Mais c’est juste un élément. C’est surtout la division de la société qui est complètement hallucinante. Que ce soit sur des principes religieux, politiques, sur les modes de vie, sur la sexualité de gens.

Quand on voit par exemple les homosexuels complètement mis à part en Russie. C’est encore autre chose mais l’idée est qu’il faut trouver un coupable ou une communauté coupable. Tout le monde se replie sur soi et on entend des discours dans tous les sens. Et bien ça fait peur. mais la religion c’est un aspect qui va être utilisé par certaines forces et pas par d’autres. Mais je ne suis pas sure qu’il y ait un totalitarisme plus intelligent qu’un autre.

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Rock Metal Mag : Samir, quel est ton ressenti après toutes ces années?

Samir : Malgré tout ce que l’on a vécu, cela va peut être paraître bizarre mais intrinsèquement comme j’avais ma famille, et mes amis, ce sont pour moi de belles années. On vivait un calvaire par rapport à tout ce qui se passait dehors, mais on est quand même privilégié car on a pas été touché directement dans notre chair. D’autres que je connais, ont perdu des parents proches, frère, soeur, etc.. Par contre, on a essayé de vivre malgré tout alors  que l’on était des gamins, entre 10/12 ou 14 ans. On était totalement insouciant.

Ceux qui ont le plus souffert de cette situation, ce sont nos parents, qui avaient peur pour nous. Nous on voulais juste faire la fête,  faire de la musique et se retrouver entre amis, comme n’importe quel ado un peu partout dans le monde. Mais nos parents avaient une autre vision des choses et c’est bien normal puisqu’ils nous aiment et avaient peur pour nous.

Rock Metal Mag : Donc aujourd’hui tu restes optimiste pour la suite?

Samir : Oui, je suis d’un naturel optimiste et je vois toujours le verre à moitié plein. (rires) et Mus aussi d’ailleurs.

Manu : Après être passé par tous ces problèmes cela fait relativiser les choses de la vie.

Samir : C’est clair. Mais on reste optimiste pour l’avenir de nos concitoyens, pour l’avenir de l’Algérie et de cette jeunesse éprise de liberté et de démocratie. Et j’espère vraiment que ce que l’on a vécu ne sera jamais plus vécu par d’autres générations par la suite. C’est un souhait très sincère et je garde l’espoir. Toute cette période fait partie du passé et il faut que la jeunesse d’aujourd’hui puisse pleinement vivre sa vie et aller de l’avant.

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Rock Metal Mag : Pour finir, est ce que l’on peut espérer une Release Party malgré la situation actuelle?

Samir : Alors c’était prévu pour le 16 octobre, date de la sortie de l’album. Malheureusement cela a du être annuler et c’est très compliqué de prévoir quelque chose. Donc pour le moment c’est en standby. On verra éventuellement dans un futur proche.

Manu : On fera la Release un an après la sortie ! (rires)

Samir : Mais c’est rien, on fera quand même la fête avec les potes, les fans et tous ceux qui veulent venir partager un verre et écouter l’album.

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Rock Metal Mag remercie Manu et Samir du groupe Arkan, Roger de Replica Promotion et le Hard rock Café Paris.

L’album est maintenant en écoute intégrale